À Paris, le 24 avril 2020,
Objet : Dépôt d’une requête sur la communication de documents sur les bénéficiaires de Bpifrance
Madame, Monsieur,
Je vous formule la présente requête suite au refus de Bpifrance de nous communiquer des documents relatifs à ses bénéficiaires.
L’association à intérêt à agir par son objet (pièce 1). L’article 9 des statuts de l’association (pièce 1) donne pouvoir au conseil d’administration pour me mandater à cette fin (pièce 2).
1Faits
Présentation de l’association requérante
L’association Ouvre-boîte, RNA W751238177, dont le siège social est sis 23 rue Greneta, 75002 Paris, est une association dont l’objet est d’obtenir l’accès et la publication effective des documents administratifs, et plus particulièrement des données, bases de données et codes sources, conformément aux textes en vigueur.
L’association œuvre dans cette optique depuis plusieurs années, afin de permettre aux citoyens et contribuables français d’obtenir l’accès à des données et documents auxquels ils sont autorisés à accéder, voire, dans certains cas, qui devraient être communiqués d’office par l’administration, mais qui ne l’ont pas été. Ouvre-boîte s’inscrit ainsi dans le mouvement continu de la transparence administrative et de sa concrétisation moderne avec les données ouvertes, ou « open data ».
La notion de transparence administrative s’ancre profondément dans la construction démocratique française, la Révolution française ayant notamment comme racines le défaut d’État de droit et de redevabilité de l’administration1. Elle est ainsi proclamée par l’article 15 de la Déclaration des droits de 1789, qui dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Ce principe a été suivi à la fin du XIXe siècle par plusieurs lois qui prévoyaient des mesures de publicité, notamment par affichage, pour des décisions administratives. La revendication d’un droit d’accès des citoyens aux documents administratifs remonte aux années 1960 avec trois arguments avancés : le public, mieux éduqué a « le droit de savoir » ; l’administration, critiquée pour son goût du secret, a intérêt à améliorer son image en ouvrant ses dossiers ; l’accès à l’information détenue par l’administration est un moyen de faire adhérer l’opinion aux projets collectifs. Saisie d’un projet de loi qui tendait à améliorer les relations entre l’administration et le public, l’Assemblée Nationale transforma le texte qui devint le titre Ier de la loi du 17 juillet 1978 intitulé « de la liberté d’accès aux documents administratifs ». Cette ouverture est contemporaine d’une consécration généralisée de ce que le Conseil d’État nomme le « droit de savoir », dont les deux autres piliers sont le droit d’accès aux archives publiques et à ses données personnelles2.
L’action de l’association Ouvre-boîte s’inscrit ainsi pleinement dans ce contexte d’ouverture. C’est ainsi que l’association a obtenu la libération de plusieurs jeux de données d’utilité publique, désormais librement accessibles par tout citoyen3, ce dont la presse s’était fait l’écho4 5. L’association œuvre ainsi à ce que les droits d’accès et de libre réutilisation soient mieux connus de ceux qui pourraient en bénéficier : l’objectif de l’association Ouvre-boîte est de faciliter l’application de ces droits.
Pour ce faire, Ouvre-boîte vulgarise les moyens à disposition de tous : demande gracieuse, recours gracieux, saisine de la CADA, saisine de l’AGD, recours contentieux… Ouvre-boîte est également une communauté d’entraide et de partage d’expertise sur la libération des documents administratifs. Qu’ils soient citoyens, associations, entreprises ou administrations, Ouvre-boîte apporte une aide à tous ceux qui souhaitent disposer d’un accès à un document détenu par une administration. Mais Ouvre-boîte cherche aussi à trouver des solutions aux obstacles rencontrés par les administrations quand elles souhaitent publier leurs documents. Ouvre-boîte précise le cadre juridique auquel sont astreints les fonctionnaires, qui n’ont pas toujours une vision claire de ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas libérer. Ouvre-boîte propose une expertise technique pour la libération de données ou de codes sources, lorsqu’un audit ou une extraction complexe est nécessaire. Enfin, Ouvre-boîte cherche à valoriser l’action des administrations qui s’engagent dans l’ouverture de leurs documents et leur donne les moyens de communiquer au mieux sur leurs efforts de transparence
Détails de la procédure
Le 18 décembre 2018, la requérante a demandé à Bpifrance la communication, « par voie de publication en ligne régulièrement mise à jour, l’ensemble des identités des bénéficiaires des financements de Bpifrance depuis le 1er janvier 2017, ainsi que pour chaque bénéficiaire, le montant des financements et l’ensemble des dispositions contractuelles encadrant les financements » (pièce 3).
A ce jour, Bpifrance n’a communiqué aucun accusé d’enregistrement électronique, ni accusé de réception, ni réponse. Au terme du délai d’un mois fixé par l’article R311-13 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), Bpifrance a produit un premier refus implicite.
L’association a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) le 9 février 2019 (pièce 4). A ce jour, la CADA n’a pas encore rendu son avis.
Au terme du délai de deux mois courant à partir de la saisine de la CADA, le ministère a rendu un deuxième refus implicite. Ce refus est l’objet du présent recours.
2Discussion
Bpifrance est une administration au sens du CRPA
Bpifrance est un EPIC dont les missions et l’organisation sont fixées par l’ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d’investissement, modifiée par la loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d’investissement.
L’artice 1A, alinéa 1, précise notamment : « La Banque publique d’investissement est un groupe public au service du financement et du développement des entreprises, agissant en appui des politiques publiques conduites par l’Etat et conduites par les régions. »
Le contrôle de l’État sur Bpifrance est défini au décret n° 2015-1498 du 18 novembre 2015 portant statuts de l’établissement public Bpifrance et définissant les modalités particulières du contrôle de l’État.
Bpifrance entre donc dans la catégorie des administrations ainsi définie par l’article L100-3 du CRPA : « les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ».
Sur le refus de publication
Les documents demandés entrent dans la catégorie des documents administratifs telle que définie par l’article L300-1 du CRPA : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. »
Aux termes de l’article L311-1 du CRPA, les administrations sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande. Cette publication peut se faire au choix du demandeur par voie de publication en ligne, comme le prévoit l’article L311-9 du CRPA.
L’article L312-1-1 du CRPA étend l’obligation de publication en ligne aux mises à jour des documents communiqués.
Bpifrance a donc excédé son pouvoir en refusant la demande de communication.
Sur l’article L761-1 du code de justice administrative
L’association estime à 200 euros ses frais afférents au présent recours, correspondant à 8 heures de travail facturées au taux horaire de 100 euros : 1 heure pour l’étude du dossier, 1 heure pour la rédaction du mémoire.
3Conclusions
Par ces motifs, et tous autres à produire, déduire, suppléer, au besoin même d’office, l’association requérante conclut à ce qu’il plaise au tribunal administratif de :
enjoindre Bpifrance à publier en ligne les documents demandés, dans un délai d’un mois ;
soumettre Bpifrance à une astreinte de 1000 euros par jour de retard pris dans la publication de ces documents ;
prendre toute autre mesure d’exécution qu’il jugerait nécessaire ;
mettre à la charge de Bpifrnce la somme de 200 euros sur le fondement de l’article L761-1 du code de justice administrative.
4Liste des pièces justificatives
Pièce 1 : Statuts de l’association Ouvre-boîte
Pièce 2 : Mandat
Pièce 3 : Demande du 18 décembre 2018
Pièce 4 : Saisine de la CADA du 9 février 2019
1Elle est d’ailleurs décrite par la CADA comme « l’une des pierres angulaires de toute société démocratique » - https://www.cada.fr/lacada/la-liberte-dacces-en-europe-et-dans-le-monde.
2Pour une harmonisation des textes en matière de données publiques, rapport du Conseil d’État, 19 mars 2009.
3Listés ici : Ouvre-boîte
4Sous pression, Bercy ouvre les codes sources des modèles Mésange, Opale et Saphir, par Xavier Berne pour NextINpact, Sous pression, Bercy ouvre les codes sources des modèles Mésange, Opale et Saphir - Next
5Documents administratifs : « nous demandons l’application du droit, tout simplement… », par Bruno Texier pour Archimag, https://www.archimag.com/archives-patrimoine/2019/02/06/données-publiques-nous-demandons-application-droit-tout-simplement